samedi 29 mai 2010

R.I.P







Nous sommes le 29 mai 1997. Le temps est lourd à Memphis. Depuis 3 mois, Jeff est installé dans cette ville qui a vu naitre Elvis et une de ses idoles, Alex Chilton. Locataire d'une petite maison modeste presque dénuée de meubles, il se sent bien, retrouve goût à une vie simple, anonyme. Après les tournées harassantes, les multiples sollicitations de sa vie à New-York, les excès, il s'est isolé pour travailler, composer, se retrouver surtout, redevenir lui-même. Il aime se balader dans le zoo proche de chez lui, il s'est pris de passion pour les tigres qui le fascinent. Il vient même de faire une demande pour y travailler bénévolement.


Isolé ne veut pas dire reclus : il s'est lié avec des gens ordinaires, des musiciens locaux, des voisins, une disquaire qui n'avait jamais entendu parler de lui auparavant. Ce mode de vie le repose et l'inspire.

Une fois par semaine, il joue au Barrister's, un petit club de la ville, au plus près d'un public dont il ne pourrait se passer. Parfois, il apprend que certains ont traversé le pays uniquement pour le voir, et il trouve ça incroyable, il n'en revient toujours pas de cette admiration inconditionnelle qu'il suscite.

Chez lui, il travaille, expérimente, s'enregistre sur un 4-pistes, croit enfin en sa capacité à élaborer un deuxième album qui tiendra les promesses du premier. Les derniers coups de fil qu'il passe à ses amis laissent entrevoir un Jeff enfin apaisé, après le long passage à vide où il semblait douter de tout. Il y a quelques jours, il a envoyé une maquette de ses dernières compositions à son groupe et à sa girl-friend Joan Wasser, musicienne elle aussi. Il sont rassurés. Il dit à son ami et guitariste Michael Tighe « ces chansons sont en noir et blanc, il ne manque plus que vous, les gars, pour y mettre de la couleur! ». Ce qui se devrait se faire rapidement, Michael, Mick, et le nouveau batteur Parker Kindred sont attendus le soir même à Memphis, et l'enregistrement doit commencer dès le lendemain.

Laissant son manager attendre ses amis à l'aéroport, il part avec Keith Foti, un roadie, repérer les lieux. N'ayant pas réussi à trouver les studios, ils décident de se balader dans la ville, finissant par se retrouver sur les berges de la Wolf River. Jeff a encore un peu de temps avant l'arrivée des musiciens dans la petite maison. Keith a emporté avec lui un ghetto blaster et ils écoutent à fond Led Zeppelin. Sur « Whole lotta love », Jeff chante à tue-tête, et décide contre toute attente de se baigner dans l'eau boueuse de l'affluent du Mississipi.


Vers 21 h 15, l'avion de New-York se pose à quelques kilomètres de là, et les membres du groupe se réjouissent de retrouver leur « chef » et de se mettre au travail. Au même moment, Jeff qui est entré dans l'eau tout habillé et chaussé de lourdes bottines, disparaît dans le remous causé par le passage d'un bateau à aube.

Tous ceux qui aimaient Jeff et ne l'ont pas oublié, ceux qui l'ont découvert après sa mort et ont été bouleversés, ceux que sa musique a aidé à vivre et à trouver leur voie, tous ont passé et repassé ce qu'ils savaient de cette soirée des centaines de fois dans leurs têtes. La mort de Jeff, c'est un concours de circonstances stupide, inexplicable, absurde, terriblement injuste. Il n'était sous l'emprise d'aucune drogue, n'avait pas consommé d'alcool. D'après Keith Foti, il était gai, serein, il riait en nageant sur le dos, le visage tourné vers les étoiles naissantes.


Pour tout ce que tu nous a laissé et appris, pour ta voix, tes paroles, pour ce que tu as été, parce qu'à tes dons se sont ajoutés l'honnêteté, le courage, la volonté de rester fidèle toi-même, je te dis un grand merci.

Repose en paix, tu n'es pas oublié.

mardi 9 février 2010

Hallellujah en France

Cette vidéo nous donne un aperçu du caractère impulsif et bouillonnant de Jeff. Il faut rappeler le contexte : l'été 95, Jacques Chirac, nouvellement élu, avait décidé de reprendre les essais nucléaires à Mururoa, ce qui a donné lieu a des manifestations internationales virulentes, notamment de la part de Greenpeace. Entre deux tournées en Australie, Jeff de passage en France, ne peut s'empêcher de nous faire partager son indignation à l'occasion de l'enregistrement d'une émission télé.

C'était quand même gonflé, ce jeune chanteur américain à peine connu, en tous cas loin d'être une star, qui se permet de critiquer la politique de notre beau pays! Mais au risque de s'attirer quelques foudres, Jeff n'a jamais eu peur d'exprimer ses opinions sur la société, la morale, la religion. Je suis sûre que s'il avait vécu, il se serait de plus en plus engagé, dans la veine de la chanson « Eternal Life », une charge contre les fanatiques religieux et prédicateurs en tous genres.


Cette interprétation d'Hallellujah, toute en retenue et gravité, est magnifique, habitée par l'humanisme de Jeff.


dimanche 3 janvier 2010

Interview




Cette fois ci, pas d'effort de traduction, pour bien commencer l'année, je vous fais partager un article paru dans un journal français, l'Indic, en 1995. Est-il besoin de rappeler que, nul n'étant prophète en son pays, la carrière de Jeff a eu un retentissement bien plus important en France qu'aux Etats-Unis. Ce qui devait le réjouir, lui qui aimait la culture européenne. Il s'était même vu décerner le Grand Prix de l'Académie Charles Cros, récompense prestigieuse quand on sait qu'avant lui, Edith Piaf, Bob Dylan ou les Doors l'avaient obtenu.

Get Your Soul Out

Get Your Soul Out !


*94 a révélé de nombreux nouveaux artistes qui, dès le premier album se sont imposés dans le paysage musical international Parmi eux: Beck, Oasis, Portishead et surtout Jeff Buckley qui, en l’espace de six mois, a atteint un statut quasi-mythique par le biais d’un album lumineux, «Grace», et de concerts magiques. Rencontre et description du phénomène â l’occasion de sa première tournée française.
Scoot Moorhead vu le jour le 17 novembre 1966 à Los Angeles. Son père l’ayant abandonné peu après sa naissance, c’est sa mère, Mary Guibert, qui l’éleva. De son propre aveu il reconnaît avoir eu une enfance et une adolescence assez libres. Initié très tôt à la marijuana et surtout a la musique par sa mère, violoncelliste classique et par son beau-père, garagiste de son état, et grand , amateur de rock. « Quand un adulte me demandait ce que je voulais faire plus tard, je lui répondais toujours : je veux faire de la musique ». A l’âge de huit ans, il rencontre brièvement son père, Tim Buckley, artiste mythique des 60’s (voix flirtant avec les anges, musique évoluant de la pop-rock au jazz céleste, carrière menée à l’encontre de toute logique de succès commercial). Il ne le reverra plus jamais car celui-ci meurt deux mois plus tard, le 15 juin 75, d’une overdose. Il avait à peine 27 ans. Quelque temps plus tard, après que sa mère est divorcé, il choisit de prendre le nom de Jeffrey Scoot Buckley acceptant le lourd héritage que représente ce nom et marquant ainsi son attachement à ce père qu’il connaît uniquement a travers ses disques et ce que les autres disent lui.
Ayant grandi sous le soleil de Californie ; il ne s’est jamais vraiment senti a sa place dans ce décor idyllique, parfait pour symboliser l’Amérique bien portante mais peu propice à l’épanouissement d’un jeune homme à la vie intérieure bouillonnante et intense. A douze ans, il est déjà convaincu que son avenir se trouve ailleurs, dans cette ville, New York, où l’être prime sur le paraître. Symboliquement, c’est à l’occasion d’un concert en hommage à Tim Buckley où il est invité à chanter une chanson (Once I Was) que Jeff effectuera ce voyage d’Ouest en Est, synonyme pour lui de « nouvelle vie ». Ayant abandonné tout ce qu’il possédait et connaissait, il se retrouve seul mais prêt à s’assumer, porté par une foi en lui-même qui le transcende, « The rain is falling... And I Knwo my time has come », Grace.
Dans son quartier du Lower East Side, il existe une formidable concentration d’artistes en tout genre. Jeff se sent enfin exister même s’il doit parfois affronter la solitude et un dangereuse attirance pour l’héroïne. II commence a jouer dans des cafés comme le Fez, le Bang On et surtout le Sine où il s’exerce parfois à la plonge !

Soir après soir, à attire de plus en plus d’admirateurs et acquiert une expérience de la scène qui lui permet de tenir en haleine le difficile et exigeant public des pubs. Le souvenir de cette période d’apprentissage est gravé sur son premier CD, Live at Sin-é, un mini-LP 4 titres paru sur le label Big Cat, Deux reprises y figurent, Je n’en connais pas la fin d’Edith Plat et The way young lovers do de Van Morrison, ainsi que deux compositions originales Mojo pin et Eternal life. Jeff Bucklev crée une musique personnelle, habitée par la passion. Simplement avec sa voix, pure et haut perchée, et sa guitare dont il tire des sons et des harmonies d’une grande richesse.Suite à ce magnifique et. prometteur premier disque, les choses vont s’accélérer pour Bucklcy. Alerté par la rumeur, Columbia vient lui proposer un contrat où il dispose de l’entière liberté artistique. Jeff se met aussitôt en quête d’un groupe.

« Je voulais trouver des personnes ayant une approche intuitive de la musique, jouant avec leur âme et s’investissant émotion nettement. Autrement la musique serait stérile... Michael Tighe (guitare) était mon ami depuis trois ans. Il a presque assisté à tous mes concerts solos. Mick Grondahl (basse) a été le premier à venir vers moi et à me dire qu’il aimerait travailler avec moi. Il était si honnête. franc et sincère que j’ai su que je devais le rappeler. Puis j’ai contacté Matt Johnson (batterie) que l’on m’avait recommandé. La première nuit où nous avons joué ensemble, nous avons mis au point Dream Brother. Toutes les idées, les arrangements sont venus naturellement comme dans un rêve... » Après quelques semaines de répétitions, le groupe entre en studio avec Andv Wallace (producteur, entre autres, de Rage Against The Machine !) et enregistre Grace. Album majeur, intemporel. D’une beauté rare, alliant fragilité et violence. Les réactions du public et de la presse sont unanimement dithyrambiques et l’intérêt autour de Jeff Buckley est savamment entretenu par Columbia qui sent bien qu’elle tient là un artiste hors du commun. Jeff et son groupe partent ensuite en tournée mondiale, Ils se produisent une première fois à Paris, le 22 septembre dernier au Passage du Nord-Ouest pour un concert éblouissant qui vient confirmer toutes les rumeurs qui couraient à son sujet. Le groupe parcourt ensuite les Etats-Unis, l’Angleterre et le Japon avant de s’attaquer à sa première tournée française qui se déroule dans des salles de contenance moyenne (500 à1000 places). Preuve de l’engouement de la France pour Jeff Buckley: toutes les dates sont sold-out, avant même le départ de cette tournée!

Mercredi 8 février - Toulouse

Première étape le 8 février à Toulouse, la magnifique cité des bords d Garonne Ville étonnante tant par la richesse de son patrimoine (les innombrables bâtiments en brique roses, Le Capitole…) que par la jeunesse de ses habitants (plus de 110 000 étudiants !). Le Bikini, belle salle située dans la banlieue industrielle de Toulouse, affiche donc complet. Le public est jeune (hormis les vieux fans du père), connaît Grace par cœur et attend beaucoup de ce concert La première partie est assurée mollement par les hollandais de Bettie Serveert qui, heureusement, quitteront, sans gloire, la tournée le soir-même. La tension est palpable dans la salle lorsque soudainement le public laisse échapper un cri de bonheur au moment où apparaissent Jeff et ses musiciens. Arrivé le plus simplement du monde, il capte immédiatement le regard et l’attention grâce à son extraordinaire charisme. Chevelure ébouriffée, regard habité, sourire désarmant de naturel, aisance désinvolte il existe une ressemblance troublante entre ce personnage et le Jim Morrison des débuts! D’emblée, la salle est sous le charme. Buckley saisit un bottleneck et entame l’intro de Last goodbye.

Juste après Dream brother instaure un climat mystique avec ses intonations orientales et ses montées de tension. Le texte évoque à mots à peine cachés le souvenir de Tim. Quelqu’un dans la foule crie : « Get your soul out ! ». Oui, c’est de cela qu’il s’agit. Buckley dévoile son âme. Non pas par exhibitionnisme complaisant mais plutôt pour évacuer un trop plein d’émotion et le faire partager. Vient ensuite So real. Puis, Jeff se lance dans une longue introduction où se mêlent chant aérien et arpèges éthérés et attaque brutalement Mojo pin. Le morceau s’élève jusqu’au final où sa voix est au bord de la déchirure. Aux premières notes de Grace, les gens manifestent leur plaisir. Ce titre, après ses passages répétés à la radio et à la télé se révèle être un « hit » inattendu. La version live diffère peu de la version studio. Lilac wine débute sur une suite d’accords dissonants et torturés avant de retomber sur le climat en apesanteur de la version de l’album. Jeff s’approprie avec une grande facilité ce chef d’oeuvre de Jonas Shelton (un illustre inconnu) qui a été popularisé par Nina Simone. What will you say, un nouveau morceau qui déçoit un peu. La mélodie est facile et l’émotion semble un peu forcée sur ce titre, en retrait par rapport au reste du répertoire. Eternal life apparaissait sur le Live at Sin-é dans une version dépouillée et avait déjà été durci sur Grace. Sur scène, il devient carrément sauvage, impressionnant Hallelujah est un des titres les plus attendus du public. Sur cette chanson de Léonard Cohen empreinte d’une grande spiritualité, la voix de Jeff Buckley atteint des sommets de pureté. Un ange passe... En rappel, nous aurons droit à un autre inédit, un morceau qui ressemble assez au Cure - période Disintegration. « Nous jouions à Vancouver et il y avait une pression pour que nous enregistrions une face-B. Nous avons travaillé sur une idée de Michael. Mais la chanson n‘a pas de forme définitive, nous la modifions chaque soir. Je n’ai pas vraiment le temps d’écrire en tournée. Non... Seulement des petits bouts de mélodie, de riff de texte, quand j’arrive à m’isoler quelques instants. Par contre. le fait de beaucoup voyager apporte des idées particulières et renouvelle mon inspiration ». Le concert se termine sur l’hypnotique Kangaroo d’Alex Chilton et Jeff Buckley quitte la scène sous les acclamations du public, conquis. Dans la loge, deux groupies essayent vainement de le séduire. Il les éconduit poliment, restant en toutes circonstances aimable et attentif à tout ce qui se passe autour de lui. Il m’apprend qu’il vient de refuser la première partie de la tournée Page/Plant. « Je ne jouerai jamais dans les stades... Tu me vois chanter Lilac wine devant des hard-rockers! Non. c’est impossible. Mais c’est un honneur et une chose incroyable qu’ils me l’aient proposé... » Visiblement, il a du mal à réaliser l’engouement phénoménal dont il est l’objet et il semble désorienté par cette vie épuisante, privée de repère qu’il mène actuellement. « Le contrôle de ma vie m’échappe un peu. On me dit quand je dois me lever, où je dois aller, à qui je dois parler on me donne de la nourriture qui ne me plaît pas forcément… Je rêve parfois de pouvoir aller dans un magasin, de m’acheter un morceau de pain et de faire mon propre sandwich ! Pour ne pas déprimer, je dois me concentrer sur la seule chose qui m’intéresse vraiment : jouer ! ». Epuisé, il prend congé de nous et se dirige vers le bus où une courte nuit de sommeil l’attend.

Jeudi 9 février - Montpellier

Montpellier, ville du sud en constante mutation qui génère une activité culturelle et rock en particulier, très vivace. Le concert a lieu à Victoire 2, une salle pas particulièrement accueillante et qui manque de chaleur. Pourtant, à peine Jeff et le groupe entrent sur scène, on ressent quelque chose de fort et d’inexplicable. L’attention est plus grande, le public réagit instantanément et communique réellement avec la musique. Silencieux, les Yeux rivés sur Jeff lors des passages calmes et introvertis ou totalement déchaîné lorsqu’il se retrouve pris dans le tourbillon sonore d’Eternal life ou Kangaroo. L’ordre des morceaux n’est pas le même que la veille : « Chaque soir est différent. Il n’y a pas de liste pré­établie. De même que chaque chanson est jouée différemment selon l’atmosphère et l’humeur ». Les titres s’enchaînent. Des versions époustouflantes tendues à l’extrême de So real et Lover you should’ve come over. Pour contrebalancer cette tension. Jeff dialogue et plaisante avec le public, répondant du tac au tac. A un imbécile « Tim Buckley ! », il rétorque un cinglant « You’re at the wrong concert, baby ! ». Il rejette toujours assez vivement toutes comparaisons avec son père. « J’espère que les gens n’oublieront jamais Tim. Car ils ne le peuvent pas ! Mais je n’écoute pas ses disques pour avoir de l’inspiration. J’ai d’autres héros ! ». Vient Hallelujah entrecoupé d’un couplet tiré du I know it’s over des Smiths, l’un de ses groupes favoris. Il cite d’ailleurs fréquemment Johnny Mars parmi les guitaristes qui l’ont le plus influencé. Le concert se termine, comme la veille, par Kangaroo. Mais alors que le roadie commence à éteindre les amplis et que les lumières de la salle se rallument, le public, encore sous le choc de ce concert magique, ne cesse de hurler et d’applaudir. Tant est si bien que Jeff revient. Il remercie encore et encore. Il est sincèrement touché par cette marque d’amour. « Tout ce que je peux espérer du public, c’est qu’il sourit qu’il crie... Alors, je dis merci et je les crois totalement ». Il se livre à quelques pitreries. Parodiant un tube dance du moment ou jouant une intro des Stooges. Et se lance dans une version échevelée de The way young loyers do. « J’ai repris cette chanson car un jour Michael m’a dit qu’il avait rêvé que nous la jouions tous les deux. Donc, je l’ai fait ! J’ai réalisé après coup que certains pouvaient trouver présomptueux de s’attaquer à un tel morceau. Mais finalement, ce n ‘est qu’une chanson... Elle sonne un peu jazzv car à l’époque j’écoutais du jazz à longueur de

journée. » Acclamations. Jeff sourit, lance un dernier « Bons rêves ! » et s’en va. On le laisse partir à contre-coeur.

Vendredi 10 février - Lyon

Vendredi 10 février. Arrivée à Lyon en début d’après-midi. A travers les embouteillages et la bruine, dans cette ville dont l’image pâtie actuellement des démêlés médiatico-juridiques de son maire. A 15 heures précises, a lieu une mini-conférence de presse, histoire d’approfondir le sujet et de mieux faire connaissance avec cet artiste si attachant.

Qu’est-ce-que la Grace signifie pour toi ?

Ce n’est pas religieux, ni mystique. C’est très ordinaire. C’est cette chose qui rend les gens divins. C’est une qualité que j’apprécie énormément chez une personne. Particulièrement chez un homme car c’est très rare.

Que penses-tu des critiques qui trouve que Grace est surproduit ?

Il y a un journaliste à New-York qui m’adorait lorsque je me produisais en solo à Sin-é. Et subitement, quand Grace est sorti, il a déclaré: « J’ai été fou d’aimer Jeff Buckley ! Son album est totalement sur-produit. Bla-hla-bla » . Il pense que je l’ai trahi car j’ai évolué. Quand je crée en studio, j’ai la possibilité d’expérimenter toutes les idées que j’ai en tète, Je peux dire « j’ai besoin de ceci !Je ne veux pas cela ! ». C’est une sensation fantastique de pouvoir donner une existence à des sons, des émotions que l’on a en soi.

La plupart des chansons de l’album exprime la difficulté à gérer une relation amoureuse et le déchirement qu’amène une séparation. Que t’a apporté le fait d’écrire ces chansons ?

De mes expériences amoureuses et de ce que j’ai exprimé dans Grace, j’ai appris à ne pas me reposer entièrement sur quelqu’un et à ne pas vivre à travers une personne.

En Europe, les critiques sont unanimement favorables alors qu’aux Etats-Unis cela semble différent. Comment expliques-tu cela?

En Amérique, un critique rock très influent, qui écrit dans de nombreux magazines et dont l’opinion fait autorité, m’a carrément insulté Il pense que je suis perturbé, que je ne sais pas où je vais, que je m’éparpille. Il n’arrive pas à me cerner, a me classer et de ce fait, nie rejette en bloc. Je ne suis pas dérangé Il y a juste que je ressens différentes émotions et que je les exprime de différentes manières, avec différents sons. Car c’est comme cela que ça doit sonner! Les gens ont plusieurs personnalités à l’intérieur. Mais ils sont toujours eux-mêmes. Ils peuvent être naturellement sereins ou torturés. Chacun a en soi des états, des sentiments totalement opposés. Et la musique reflète ces paradoxes. Tous les arts le font. Mais la musique probablement plus que d’autres. Il y a quelque chose de spécial avec la musique qui rend les gens « fous » dès qu’ils l’écoutent. Ils la détestent ou ils l’adorent mais elle provoque plus de réactions qu’un film, une sculpture ou une peinture. C’est un art étrange... Celui qui se rapproche le plus du rêve. Je ne peux pas expliquer ou formuler un son. J’aimerais mais je ne peux pas.

Quels sont les artistes dont tu ressens le plus l’influence?

Je crois que les artistes qui mont le plus marqué sont ceux que j’ai écoutés étant enfant comme Led Zeppelin, Joni Mitchell. MCS, Billie Holliday, Nina Simone, Patti Smith, John Lennon puis, plus tard. Siouxie (j’ai beaucoup d’elle dans m’a voix), Nick Cave (surtout quand il était dans Birthday Party), les Smiths... Je suis fans de milliers de gens. En les écoutant, ils me rappellent toutes les possibilités d’expression. C’est cela l’inspiration ! Actuellement, il y a toujours beaucoup de bonnes choses mais elles sont plus underground. L’émulation est une chose importante. C’est la raison pour laquelle les années 60/70 étaient si fantastiques. Il y a eu les Beatles et tout le monde a fait : « Oooouuaaahhb ! », puis Jimi Hendrix : « Woohh ! On peut faire ça ! » et ensuite James Brown, les Stones, les Beach Boys, les Doors, etc...

Les structures de tes chansons sont assez éloignées des formats habituels de la pop...

Oui, j’ai entendu tant de chansons bâties sur le même moule (couplet-refrain-couplet-refrain-pont-fin) que ça ne me satisfait plus. Je préfère avoir une approche plus libre de l’écriture.
De ce point de vue. Bob Dylan est une de mes principales influences. Je n’ai que des éloges à lui faire. Il a rendu la poésie vivante et actuelle, alors que c’était quelque chose de dépassé. Et il a constamment renouvelé les règles de ce que doit être un artiste rock moderne. Je l’ai rencontré une fois.
J’étais terrifié et il m’a dit quelque chose que je n’oublierai jamais: « Make a good album, man !Just rnake a good album ! ». Et j’ai fait Grace.

Justement, comment vois-tu ton prochain album?

En devenant un meilleur artiste, j’aimerais être plus capable d’exprimer la joie, le bonheur. Je ne veux pas être comme Sisters 0f Mercy, toujours dépressif. J’aime Sisters 0f Mercy mais je veux que m’a musique reflète chaque part de m’a vie. Tout ce que j’ai à faire, c’est m’exprimer, être moi-même. Je ne dois pas me cristalliser sur ce que j’ai déjà fait. Mon succès sera de réussir le prochain album.

L’entretien aurait pu encore se prolonger mais le manager. intervient sèchement pour y mettre fin. Dommage! Le soir-même, retour au B-52, un club de petite taille, à l’atmosphère feutrée, cadre idéal pour un concert intimiste et. chaleureux. Le début du concert est perturbé par un petit problème de câblage que Buckley détourne à son avantage en se lançant dans une improvisation a capella pendant que le roadie s’affaire à changer le câble défaillant. Le concert se déroule ensuite tout a fait normalement mais la performance de Jeff est un peu en-dessous de ce qu’il peut faire. Lui et son groupe semblent fatigués et un peu absents, ce soir-là.
Comme s’il y avait quelque chose dans l’air qu’il n’arrivait pas à saisir continuellement. D’un Mojo pin débordant d’intensité électrique, il passe à un Lilac wine approximatif. Mais il ne perd pas pour autant s’a formidable ‘aptitude à dialoguer avec le public, à l’amuser pour mieux asséner ensuite un Eternal Life dévastateur.


Samedi 11 février - Paris

Samedi 11février. Jeff est de retour dans la capitale française, ville. qu’il affectionne tout particulièrement étant un grand fan d’Edith Piaf. Vers, 18.heures,après le sacro-saint rituel de la balance, il restera près d’une heure avec Michael Tighe à perfectionner les arrangements de So real. Preuve qu’il n’est pas lassé ses chansons et qu’il cherche constamment à les améliorer. Le soir venu, on sent qu’il y a une pression particulière à Paris : France-Inter enregistre le concert, une équipe de M6 s’est déplacée pour effectuer un reportage et on remarque la présence de nombreux journalistes, photographes et autres personnalités. Le Bataclan est évidemment plein. Le public parisien accueille Jeff Buckley dans une grande clameur. Les photographes se ruent sur leurs appareils (« Seulement pendant les trois premiers morceaux et surtout, pas de flash ! ».). « Qui était là, la dernière fois ? » demande-t-il avec un grand sourire. Après 1h30 d’une performance intense, il offre un long rappel en solo avec une splendide version de Tbe way young loyers do, un medley d’airs de Piaf et un long et solennel Hallelujah qui s’élève dans un silence de cathédrale.
On sort de là ébranlé. Plus fort, plus vulnérable. A la fois seul et comme faisant partie d’une communion de pensée. En tout cas, ce qu’apporte Jeff Buckley et sa musique, c’est de ressentir plus intensément. Nul ne sait comment il va évoluer mais le souvenir de ces concerts et la magie de Grace resteront. il sera de retour en France début juillet, à l’Olympia, au festival de Fourvière à Lyon et aux Eurockéennes de Belfort. Quant au prochain album, il faudra patienter jusqu’au printemps 96. Entre temps, Buckley devra éviter de se faire happer par la spirale du succès et résister aux démons qui ont emporté son père et tant d’autres. La meilleure chose que l’on puisse lui dire? « Make another good album, man ! »





mardi 29 décembre 2009

Video Eternal Life

Après la traduction, une video, celle qui figure sur le DVD "Grace around the world".Jeff chantait pour une émission de télévision anglaise en mars 95. Il donne la pleine mesure de son inépuisable énergie, le reste du groupe est également très en forme.On trouve également la version du concert de Chicago un peu partout sur le Net, mais je préfère celle-ci :


samedi 26 décembre 2009

Traduction "Eternal Life"




" C'est une chanson sur les politiciens, les fanatiques religieux, les abrutis qui refusent le système scolaire de l'état, se prennent pour Saint Lucas et couchent avec leurs leurs secrétaires. Le monde ne leur appartient pas. Il appartient aux gens qui s'aiment, qui chantent de toute leur âme. Il appartient à ceux qui font l'amour sans honte, qui aiment leur corps. Le corps des femmes, le corps des hommes, le corps de l'espoir. Tout le reste, c'est la mort."

Jeff avait composé « Eternal Life » plusieurs années avant « Grace », à l'époque ou son avenir musical était incertain et son existence californienne un peu erratique.

« Jeff était assis sur mon canapé chez moi à Los Angeles, et a composé d'un trait cette chanson, c'était incroyable » se souvient Kathryn Grimm, chanteuse du Groupe Therapy dans lequel Jeff était guitariste, et chez qui il habitait à cette époque. Eternal Life figure sur « Babylon Dungeon Demos », une maquette réalisée à Los angeles, qui passera complètement inaperçue, et sera la dernière tentative que fera Jeff pour percer en Californie. Quelques mois plus tard, c'est à New-York que son talent et sa personnalité trouveront à s'épanouir et que les portes s'ouvriront enfin.

Sur scène, il donnait de cette chanson une version rageuse, proche du hard-rock, et enchaînait souvent avec une reprise tout aussi musclée de « Kick out the Jams », reprise des MC5. Avec un plaisir évident, comme si cette façon de jouer était un exutoire pour l'aspect « sauvage » de sa personnalité à facettes multiples. J'adore le son de la guitare sur les différentes versions live.


ETERNAL LIFE

La vie éternelle est maintenant au bout de mon chemin
J'ai mon cercueil rouge étincelant , mec , il manque juste un dernier clou
Pendant que tous ces types hideux jouent à leurs jeux stupides
Il y a un horizon rouge flamboyant qui crie nos noms.

Alors que tous tes rêves sont brisés net
Tu pensais vraiment que cette route sanglante
te paverait le chemin

Tu ferais mieux de te retourner
et de saluer d'un baiser
La vie éternelle , ange .

Vous tous , racistes , qu'avez-vous fait ?
Mec , tu as fait un tueur de ton fils à naître.
Couronne ma peur , ton roi au bout du fusil.
Tout ce que je voudrais , c'est aimer tout le monde.

Alors que tous tes rêves sont brisés net
Tu pensais vraiment que cette route sanglante
te paverait le chemin
Tu ferais mieux de te retourner
et de saluer d'un baiser
La vie éternelle , ange .

Il n'y a pas de temps pour la haine , que des questions
Où est l'amour , où est le bonheur , où est la vie
Où est la paix ?
Ou vais-je trouver la force de devenir libre ?

Et dis-moi où est l'amour dans ce qu'a dit ton prophète
Mec , il me semble que ça n'est qu'une prison pour morts-vivants
Et j'ai un message pour toi et ton enfer tordu
Tu ferais mieux de te retourner et dans un baiser ,
de dire adieu à la vie éternelle , ange .



mardi 17 novembre 2009

Happy Birthday, Jeff











En novembre 1966, l'Amérique est encore triomphante. Elle diffuse dans le monde entier les images d'une puissance indestructible et arrogante. Pourtant, des failles apparaissent dans cette société si sûre d'elle. 500 000 hommes sont au Vietnam. Les jeunes gens de l'après guerre étouffent sous le carcan de la morale et de la rigidité bien pensante de leur éducation. Le Civic Rights Act qui abolit la discrimination raciale vient d'être voté mais les mentalités ne sont pas encore au diapason de la loi. Les années 50 ont ouvert la voie, James Dean et Elvis Presley ont donné à la jeunesse un droit à l'expression, à la rébellion. 10 ans plus tard, toute une génération sait qu'elle a le droit d'exister en dehors des chemins tracés par ses parents, et elle le fera par le biais de la musique.

En novembre 66, les Doors viennent de signer chez Elektra , la poésie scandaleuse de Jim Morisson fait trembler les petits clubs de Los Angeles. Le protest song tente de réveiller les consciences, alors que les chantres du Flower Power, à San Francisco ou Venice, doivent leurs airs de béatitude d'avantage à l'acide qu'aux utopies.


Le 17 novembre 1966, dans la Californie des Beach Boys et de Disneyland, Jeffrey Scott Buckley vient au monde. Comme pour compenser un contexte familial pas facile, les bonnes fées débarquent en nombre à Anaheim pour se pencher sur son berceau. Elles comblent l'enfant de tous les dons, le talent, la beauté, l'intelligence, une voix exceptionnelle, sans qu'aucune ne pense à lui garantir une vie longue et heureuse.Mais on sait depuis longtemps que les bonnes fées ont un pouvoir limité. 30 années, c'est peu, mais Jeff les vivra avec une telle intensité qu'elles vaudront bien 10 existences ordinaires.

Il aimait passionément la vie, la musique, l'amour, l'amitié. Il savait trouver la beauté où personne ne l'avait vue avant. Il croyait en la bonté, la compassion, le dépassement de soi.

Jeff aurait 43 ans aujourd'hui. Il n'est pas oublié, partout dans le monde, des fans y veillent et perpétuent sa mémoire. Depuis 12 ans, Chicago, lieu de concerts mémorables, organise un Tribute pour célébrer son anniversaire. Cette année, New-York, Los Angeles, et beaucoup d'autres villes lui rendent hommage à cette date. De nombreux concerts sont organisés régulièrement dans les pays où son souvenir est indélébile, l'Australie, l'Irlande, l'Italie...

La France n'est pas en reste. Voici quelques images du Tribute du 3 juin 2008 à Paris qui a vu la présence d'artistes venus d'un peu partout, et particulèrement de Mick Grondahl, bassiste de Jeff, et de Gary Lucas, guitariste qui l'a fait débuter à New-York en 1992 dans son groupe Gods and Monsters, et qui a composé la musique de cette chanson envoutante, "Mojo Pin", premier titre sur l'album "Grace".



samedi 31 octobre 2009

Interview Rockin' on




J'ai traduit quelques extraits d'une longue interview accordée au magazine Rockin'on en novembre 94. Avec sa franchise habituelle, mais aussi une certaine retenue, Jeff nous parle de ses sources d'inspiration, de son caractère solitaire, et surtout de sa peur d'être broyé par le succès, d'être consumé par sa passion pour la musique. A peine 4 mois après la sortie de Grace, il était parfaitement lucide à propos des pièges dans lesquels il est facile de tomber. Il parle du morceau Kanga-roo, chanson qui terminait tous ses shows, et à laquelle il donnait toujours une forme et une durée différente (32 minutes au Garage de Londres!). Sa façon d'interpréter ce morceau était toujours étonnante, parfois d'une intensité éprouvante, d'une exaltation presque inquiétante, ce qui lui valait régulièrement les foudres de Sony qui pensait que ça nuisait à son image. Malgré les pressions (et l'incompréhension de certains journalistes!), il a tenu bon et à continué à le jouer à chaque concert, il lui arrivait même de le dédier ironiquement à sa maison de disques.

...

Interviewer - Si vous deveniez une importante rockstar et que vous jouiez dans des stades ou ce genre d'endroit, est-ce que votre musique y perdrait quelque chose ?

Jeff Non. Premièrement, je ne jouerai jamais dans des stades, et deuxièmement, l'artiste conceptuel en moi verrait le stade et se dirait : qu'est-ce je pourrai bien jouer de subtil et de nuancé dans un endroit pareil, et assurer quand même, et tenir un stade entier ? Bien sûr, ce serait un défi, mais je n'aime pas les concerts dans des stades car ce qui se passe sur scène est si énorme que les gens prennent ça pour acquis. Au milieu d'une chanson qu'ils ne comprennent pas, ils se lèvent pour acheter un programme ou un hot dog , une bière ou n'importe quoi. Ca n'est plus une expérience musicale, Ca devient juste un lieu d'échanges, un évènement. Je ne supporterai pas ça , ça serait trop triste.

I – Vous êtes très exigeant avec votre public, vous voulez vraiment qu'ils..

J Oh non , pas du tout, je ne suis pas exigeant, ils font ce qu'ils veulent, mais c'est juste que ...

I – Vous pensez que ce genre atmosphère ne permettrait pas un concert correct.

JOui, c'est ça. A moins d'être Paul Mc Cartney et d'envoyer « Live and let die » dans un stade avec (rires) des feux d'artifice, et des écrans géants, et un incroyable light show, avec un groupe qui connait les chansons, et ça ressemblerait à une version démesurée , j'ai déjà vu ça. Ou si vous jouez « Hey Jude » ou une chanson qu'on connait depuis longtemps, qu'on a tellement entendue. Mais une musique qu'on ne connait pas encore, ça demande de l'attention. Mais je ne demande pas aux gens de s'assoir et de ne plus bouger. Peut-être que vous venez au concert pour parler à un ami que vous n'avez pas vu depuis 16 ans, ou pour draguer une fille, je n'ai rien contre ça, c'est drôle.

I – Que pensez-vous de vos prestations scéniques ? Etes-vous en progrès ?

J Oh oui, de jour en jour. Mais certains soirs , ça arrive que ce soit un ratage complet.


...

I – En fait, la seule chose négative que j'ai vue sur vous était la critique d'un concert . Elle disait que jusqu'à la fin c'était magnifique, jusqu'à ce que vous jouiez la version complète de Kanga-Roo , que le critique a détestée. Est-ce que vous le faites encore ?

J Ou était-ce ? A Londres, au Garage ?

I – Je crois que c'était dans « New Musical Express »

J Je peux dire quelque chose ? Je ne veux pas avoir l'air de me vanter, mais chaque personne que je voyais devant moi au début du concert (et je suis conscient de mon public) était encore là à la fin. Et il y avait un silence complet quand nous avons joué Kanga-Roo.

...

I – En ce qui concerne vos textes, sont ils liés à la réalité , ou sont ils imaginaires?

J C'est ma vie. Ma vie alimente ma poésie , et donc mes textes.

I – Vous parlez donc de votre vie ?

JBien sûr , sinon je serais incapable d'y mettre du sang, de la vie. Même les choses qui sont... Oh , c'est un équilibre étrange entre... Ca n'est pas vraiment autobiographique, je les écris pour qu'ils puissent exister dans différentes parties de la vie, ils sont ouverts, ni spécifiquement masculins ou féminins, ou liés à une identité. C'est simplement spécifique d'une expérience , c'est tout.

I – Les gens peuvent donc les comprendre comme ils veulent.

J Bien sûr, ils le peuvent.

...

I – Comparé à d'autres personnes de votre génération, pensez-vous avoir été élevé dans un environnement particulier, ou votre histoire est elle banale?

J Je suis aussi banal que n'importe qui sur terre.

I – Vous dites que vous vous voyez comme un étranger , même un marginal

J Eh bien , ça a été comme ça la plus grande partie de ma vie

I – Est-ce à cause des circonstances ou de votre personnalité?

J Les deux. Ma pesonnalité réagit aux circonstances. Vous voulez dire que je suis né étranger ? En fait, je suis né ... bizarre. Mais le fait d'être... d'avoir souvent déménagé dans mon enfance, j'ai deux niveaux différents . Quand vous changez tout le temps d'endroit, vous apprenez à vous accrocher dès que vous trouvez quelque chose que vous aimez , vous êtes en quelque sorte réceptif à vos émotions et vous vous faites des amis plus facilement, sans les complications . Mais de la même façon, vous devez quitter les gens brutalement parce que vous devez partir soudainement. Cela vous construit une sorte d'armure , ça construit aussi une sorte de tristesse, et une réticence à s'engager.

I – Pourtant, vous n'êtes pas vraiment un solitaire.

J Si.

I – Vraiment ? Souvent les artistes ont l'impression de mieux commmuniquer à travers la scène, ou leur musique, que dans une relation personnelle.

J Non, je suis un vrai solitaire, mais j'aime les gens.

I – Est-ce que vous vous connectez mieux aux gens en tant qu'artiste, plutôt que...


J Non, je me connecte aux gens plus directement en tant qu'artiste , mais je me connecte plus durablement en tant qu'être humain. Je suis plus éloquent dans la musique, mais je n'utilise pas la musique pour parler aux gens. Je n'utilise pas la musique pour parler à ma petite amie, j'utilise mon coeur. Chaque fois, je laisse parler mon coeur. C'est pareil, ça vient de la même source, mais les moyens sont différents.

I – Etre un artiste enrichit donc votre vie, ça vous amène à plus de gens, mais vous ne comptez pas dessus pour communiquer ?

J Je compte sur ça. En fait, je compte sur ça pour m'exprimer, pour extérioriser l'existence. C'est quelque chose d'inexprimable qui devient réel, qui n'existe pas dans un langage normal. Mais je ne peux pas avoir l'un sans l'autre. Parce que j'ai une passion pour les deux. J'ai une passion débordante pour les deux. Et c'est une énergie étrange. Quelquefois, je cours vers ça aussi vite que je m'en éloigne, avec un pouvoir égal. Je suis vraiment tordu (rire)

I – De quoi devriez-vous vous éloigner ?

JQuelquefois j'ai l'impression que... je ne peux pas gagner, mais je dois garder ma force.

I – Ce qui veut dire ?

J Ce qui veut dire avec les gens, ou avec la musique.

I – Vous dites que vous ne pouvez pas gagner. Est-ce vous sentez des limites en tant qu'artiste?

J Je sens la peur de la chute dans un fossé sans fond , de la façon dont les choses devraient être réalisées. Je sens que je pourrais disparaitre. La peur est là.

I – Disparaître, vous voulez dire perdre votre créativité?

J Non. Perdre complètement mon identité, au nom de la musique. Car je pourrais être consumé par elle. Totalement. Je pourrais devenir un singe savant qui se contente de jouer. Je pourrais devenir un phénomène de foire. J'ai peur de ça.

I – Un juke-box humain?

J Juste un phénomène qui ne peut plus s'exprimer que comme ça. C'est ce que je ne veux pas. Je veux être capable de parler de livres, de films, de sentiments.

I – Et pour ça, je suppose que vous devez de temps à autre prendre vos distances par rapport à la musique.

J Quelquefois. Mais c'est toujours... Je n'y arrive pas, j'y retombe. C'est comme dans certains couples d'amoureux, ils sont si passionnés l'un par l'autre, mais sont aussi un poison l'un pour l'autre... La seule fois où je me suis vraiment détaché de la musique, c'était pendant une terrible dépression, rien ne m'intéressait, je n'ai même plus chanté pendant des années. Mais c'est trop personnel. (murmure) Question suivante.

I – Pensez-vous que vous pourriez prendre un autre congé sabbatique loin de la musique pour...

J Je n'ai pas de plan, mais si j'en ai besoin, je le ferai. Non, je veux dire, la musique m'accompagne tout le temps. J'avais la musique avant les maisons de disque. J'ai toujours eu la musique. Je n'ai pas besoin de l'industrie du disque pour ça. Mais c'est bien qu'elle existe, et me permette de faire des tournées et des disques. C'est génial.

I – Je dirais que Grace est probablement le meilleur album de l'année.

J Aww...

I – Et une des choses qui me frappe le plus, Jeff, c'est que les meilleures chansons en sont les vôtres. Etes-vous prolifique? Avez vous d'autres compositions?

J J'en ai, mais je voulais inclure d'autres choses. C'est un témoignage, Grace, un talisman de mon passé. Je voulais juste le faire, puis le laisser reposer pour pouvoir continuer. Mais le prochain album sera plus moi.

I – Est-ce qu'il y a eu beaucoup de matériel enregistré qui a été laissé de côté?

J Il y a seulement une chanson et je ne l'aimais pas. Je veux la retravailler.

I – Est-ce que le matériel pour le prochain album est prêt?

J Pas vraiment, car je manque de temps. Mais c'est là, en moi. Il me faut du temps et de l'espace pour en faire quelque chose. Je dois me battre pour avoir du temps libre.

...