samedi 29 mai 2010

R.I.P







Nous sommes le 29 mai 1997. Le temps est lourd à Memphis. Depuis 3 mois, Jeff est installé dans cette ville qui a vu naitre Elvis et une de ses idoles, Alex Chilton. Locataire d'une petite maison modeste presque dénuée de meubles, il se sent bien, retrouve goût à une vie simple, anonyme. Après les tournées harassantes, les multiples sollicitations de sa vie à New-York, les excès, il s'est isolé pour travailler, composer, se retrouver surtout, redevenir lui-même. Il aime se balader dans le zoo proche de chez lui, il s'est pris de passion pour les tigres qui le fascinent. Il vient même de faire une demande pour y travailler bénévolement.


Isolé ne veut pas dire reclus : il s'est lié avec des gens ordinaires, des musiciens locaux, des voisins, une disquaire qui n'avait jamais entendu parler de lui auparavant. Ce mode de vie le repose et l'inspire.

Une fois par semaine, il joue au Barrister's, un petit club de la ville, au plus près d'un public dont il ne pourrait se passer. Parfois, il apprend que certains ont traversé le pays uniquement pour le voir, et il trouve ça incroyable, il n'en revient toujours pas de cette admiration inconditionnelle qu'il suscite.

Chez lui, il travaille, expérimente, s'enregistre sur un 4-pistes, croit enfin en sa capacité à élaborer un deuxième album qui tiendra les promesses du premier. Les derniers coups de fil qu'il passe à ses amis laissent entrevoir un Jeff enfin apaisé, après le long passage à vide où il semblait douter de tout. Il y a quelques jours, il a envoyé une maquette de ses dernières compositions à son groupe et à sa girl-friend Joan Wasser, musicienne elle aussi. Il sont rassurés. Il dit à son ami et guitariste Michael Tighe « ces chansons sont en noir et blanc, il ne manque plus que vous, les gars, pour y mettre de la couleur! ». Ce qui se devrait se faire rapidement, Michael, Mick, et le nouveau batteur Parker Kindred sont attendus le soir même à Memphis, et l'enregistrement doit commencer dès le lendemain.

Laissant son manager attendre ses amis à l'aéroport, il part avec Keith Foti, un roadie, repérer les lieux. N'ayant pas réussi à trouver les studios, ils décident de se balader dans la ville, finissant par se retrouver sur les berges de la Wolf River. Jeff a encore un peu de temps avant l'arrivée des musiciens dans la petite maison. Keith a emporté avec lui un ghetto blaster et ils écoutent à fond Led Zeppelin. Sur « Whole lotta love », Jeff chante à tue-tête, et décide contre toute attente de se baigner dans l'eau boueuse de l'affluent du Mississipi.


Vers 21 h 15, l'avion de New-York se pose à quelques kilomètres de là, et les membres du groupe se réjouissent de retrouver leur « chef » et de se mettre au travail. Au même moment, Jeff qui est entré dans l'eau tout habillé et chaussé de lourdes bottines, disparaît dans le remous causé par le passage d'un bateau à aube.

Tous ceux qui aimaient Jeff et ne l'ont pas oublié, ceux qui l'ont découvert après sa mort et ont été bouleversés, ceux que sa musique a aidé à vivre et à trouver leur voie, tous ont passé et repassé ce qu'ils savaient de cette soirée des centaines de fois dans leurs têtes. La mort de Jeff, c'est un concours de circonstances stupide, inexplicable, absurde, terriblement injuste. Il n'était sous l'emprise d'aucune drogue, n'avait pas consommé d'alcool. D'après Keith Foti, il était gai, serein, il riait en nageant sur le dos, le visage tourné vers les étoiles naissantes.


Pour tout ce que tu nous a laissé et appris, pour ta voix, tes paroles, pour ce que tu as été, parce qu'à tes dons se sont ajoutés l'honnêteté, le courage, la volonté de rester fidèle toi-même, je te dis un grand merci.

Repose en paix, tu n'es pas oublié.