samedi 31 octobre 2009

Interview Rockin' on




J'ai traduit quelques extraits d'une longue interview accordée au magazine Rockin'on en novembre 94. Avec sa franchise habituelle, mais aussi une certaine retenue, Jeff nous parle de ses sources d'inspiration, de son caractère solitaire, et surtout de sa peur d'être broyé par le succès, d'être consumé par sa passion pour la musique. A peine 4 mois après la sortie de Grace, il était parfaitement lucide à propos des pièges dans lesquels il est facile de tomber. Il parle du morceau Kanga-roo, chanson qui terminait tous ses shows, et à laquelle il donnait toujours une forme et une durée différente (32 minutes au Garage de Londres!). Sa façon d'interpréter ce morceau était toujours étonnante, parfois d'une intensité éprouvante, d'une exaltation presque inquiétante, ce qui lui valait régulièrement les foudres de Sony qui pensait que ça nuisait à son image. Malgré les pressions (et l'incompréhension de certains journalistes!), il a tenu bon et à continué à le jouer à chaque concert, il lui arrivait même de le dédier ironiquement à sa maison de disques.

...

Interviewer - Si vous deveniez une importante rockstar et que vous jouiez dans des stades ou ce genre d'endroit, est-ce que votre musique y perdrait quelque chose ?

Jeff Non. Premièrement, je ne jouerai jamais dans des stades, et deuxièmement, l'artiste conceptuel en moi verrait le stade et se dirait : qu'est-ce je pourrai bien jouer de subtil et de nuancé dans un endroit pareil, et assurer quand même, et tenir un stade entier ? Bien sûr, ce serait un défi, mais je n'aime pas les concerts dans des stades car ce qui se passe sur scène est si énorme que les gens prennent ça pour acquis. Au milieu d'une chanson qu'ils ne comprennent pas, ils se lèvent pour acheter un programme ou un hot dog , une bière ou n'importe quoi. Ca n'est plus une expérience musicale, Ca devient juste un lieu d'échanges, un évènement. Je ne supporterai pas ça , ça serait trop triste.

I – Vous êtes très exigeant avec votre public, vous voulez vraiment qu'ils..

J Oh non , pas du tout, je ne suis pas exigeant, ils font ce qu'ils veulent, mais c'est juste que ...

I – Vous pensez que ce genre atmosphère ne permettrait pas un concert correct.

JOui, c'est ça. A moins d'être Paul Mc Cartney et d'envoyer « Live and let die » dans un stade avec (rires) des feux d'artifice, et des écrans géants, et un incroyable light show, avec un groupe qui connait les chansons, et ça ressemblerait à une version démesurée , j'ai déjà vu ça. Ou si vous jouez « Hey Jude » ou une chanson qu'on connait depuis longtemps, qu'on a tellement entendue. Mais une musique qu'on ne connait pas encore, ça demande de l'attention. Mais je ne demande pas aux gens de s'assoir et de ne plus bouger. Peut-être que vous venez au concert pour parler à un ami que vous n'avez pas vu depuis 16 ans, ou pour draguer une fille, je n'ai rien contre ça, c'est drôle.

I – Que pensez-vous de vos prestations scéniques ? Etes-vous en progrès ?

J Oh oui, de jour en jour. Mais certains soirs , ça arrive que ce soit un ratage complet.


...

I – En fait, la seule chose négative que j'ai vue sur vous était la critique d'un concert . Elle disait que jusqu'à la fin c'était magnifique, jusqu'à ce que vous jouiez la version complète de Kanga-Roo , que le critique a détestée. Est-ce que vous le faites encore ?

J Ou était-ce ? A Londres, au Garage ?

I – Je crois que c'était dans « New Musical Express »

J Je peux dire quelque chose ? Je ne veux pas avoir l'air de me vanter, mais chaque personne que je voyais devant moi au début du concert (et je suis conscient de mon public) était encore là à la fin. Et il y avait un silence complet quand nous avons joué Kanga-Roo.

...

I – En ce qui concerne vos textes, sont ils liés à la réalité , ou sont ils imaginaires?

J C'est ma vie. Ma vie alimente ma poésie , et donc mes textes.

I – Vous parlez donc de votre vie ?

JBien sûr , sinon je serais incapable d'y mettre du sang, de la vie. Même les choses qui sont... Oh , c'est un équilibre étrange entre... Ca n'est pas vraiment autobiographique, je les écris pour qu'ils puissent exister dans différentes parties de la vie, ils sont ouverts, ni spécifiquement masculins ou féminins, ou liés à une identité. C'est simplement spécifique d'une expérience , c'est tout.

I – Les gens peuvent donc les comprendre comme ils veulent.

J Bien sûr, ils le peuvent.

...

I – Comparé à d'autres personnes de votre génération, pensez-vous avoir été élevé dans un environnement particulier, ou votre histoire est elle banale?

J Je suis aussi banal que n'importe qui sur terre.

I – Vous dites que vous vous voyez comme un étranger , même un marginal

J Eh bien , ça a été comme ça la plus grande partie de ma vie

I – Est-ce à cause des circonstances ou de votre personnalité?

J Les deux. Ma pesonnalité réagit aux circonstances. Vous voulez dire que je suis né étranger ? En fait, je suis né ... bizarre. Mais le fait d'être... d'avoir souvent déménagé dans mon enfance, j'ai deux niveaux différents . Quand vous changez tout le temps d'endroit, vous apprenez à vous accrocher dès que vous trouvez quelque chose que vous aimez , vous êtes en quelque sorte réceptif à vos émotions et vous vous faites des amis plus facilement, sans les complications . Mais de la même façon, vous devez quitter les gens brutalement parce que vous devez partir soudainement. Cela vous construit une sorte d'armure , ça construit aussi une sorte de tristesse, et une réticence à s'engager.

I – Pourtant, vous n'êtes pas vraiment un solitaire.

J Si.

I – Vraiment ? Souvent les artistes ont l'impression de mieux commmuniquer à travers la scène, ou leur musique, que dans une relation personnelle.

J Non, je suis un vrai solitaire, mais j'aime les gens.

I – Est-ce que vous vous connectez mieux aux gens en tant qu'artiste, plutôt que...


J Non, je me connecte aux gens plus directement en tant qu'artiste , mais je me connecte plus durablement en tant qu'être humain. Je suis plus éloquent dans la musique, mais je n'utilise pas la musique pour parler aux gens. Je n'utilise pas la musique pour parler à ma petite amie, j'utilise mon coeur. Chaque fois, je laisse parler mon coeur. C'est pareil, ça vient de la même source, mais les moyens sont différents.

I – Etre un artiste enrichit donc votre vie, ça vous amène à plus de gens, mais vous ne comptez pas dessus pour communiquer ?

J Je compte sur ça. En fait, je compte sur ça pour m'exprimer, pour extérioriser l'existence. C'est quelque chose d'inexprimable qui devient réel, qui n'existe pas dans un langage normal. Mais je ne peux pas avoir l'un sans l'autre. Parce que j'ai une passion pour les deux. J'ai une passion débordante pour les deux. Et c'est une énergie étrange. Quelquefois, je cours vers ça aussi vite que je m'en éloigne, avec un pouvoir égal. Je suis vraiment tordu (rire)

I – De quoi devriez-vous vous éloigner ?

JQuelquefois j'ai l'impression que... je ne peux pas gagner, mais je dois garder ma force.

I – Ce qui veut dire ?

J Ce qui veut dire avec les gens, ou avec la musique.

I – Vous dites que vous ne pouvez pas gagner. Est-ce vous sentez des limites en tant qu'artiste?

J Je sens la peur de la chute dans un fossé sans fond , de la façon dont les choses devraient être réalisées. Je sens que je pourrais disparaitre. La peur est là.

I – Disparaître, vous voulez dire perdre votre créativité?

J Non. Perdre complètement mon identité, au nom de la musique. Car je pourrais être consumé par elle. Totalement. Je pourrais devenir un singe savant qui se contente de jouer. Je pourrais devenir un phénomène de foire. J'ai peur de ça.

I – Un juke-box humain?

J Juste un phénomène qui ne peut plus s'exprimer que comme ça. C'est ce que je ne veux pas. Je veux être capable de parler de livres, de films, de sentiments.

I – Et pour ça, je suppose que vous devez de temps à autre prendre vos distances par rapport à la musique.

J Quelquefois. Mais c'est toujours... Je n'y arrive pas, j'y retombe. C'est comme dans certains couples d'amoureux, ils sont si passionnés l'un par l'autre, mais sont aussi un poison l'un pour l'autre... La seule fois où je me suis vraiment détaché de la musique, c'était pendant une terrible dépression, rien ne m'intéressait, je n'ai même plus chanté pendant des années. Mais c'est trop personnel. (murmure) Question suivante.

I – Pensez-vous que vous pourriez prendre un autre congé sabbatique loin de la musique pour...

J Je n'ai pas de plan, mais si j'en ai besoin, je le ferai. Non, je veux dire, la musique m'accompagne tout le temps. J'avais la musique avant les maisons de disque. J'ai toujours eu la musique. Je n'ai pas besoin de l'industrie du disque pour ça. Mais c'est bien qu'elle existe, et me permette de faire des tournées et des disques. C'est génial.

I – Je dirais que Grace est probablement le meilleur album de l'année.

J Aww...

I – Et une des choses qui me frappe le plus, Jeff, c'est que les meilleures chansons en sont les vôtres. Etes-vous prolifique? Avez vous d'autres compositions?

J J'en ai, mais je voulais inclure d'autres choses. C'est un témoignage, Grace, un talisman de mon passé. Je voulais juste le faire, puis le laisser reposer pour pouvoir continuer. Mais le prochain album sera plus moi.

I – Est-ce qu'il y a eu beaucoup de matériel enregistré qui a été laissé de côté?

J Il y a seulement une chanson et je ne l'aimais pas. Je veux la retravailler.

I – Est-ce que le matériel pour le prochain album est prêt?

J Pas vraiment, car je manque de temps. Mais c'est là, en moi. Il me faut du temps et de l'espace pour en faire quelque chose. Je dois me battre pour avoir du temps libre.

...


mardi 27 octobre 2009

Vidéo de Satisfied Mind

Ce standard folk, Jeff n'a pas hésité à le transformer en un blues poignant. Je préfère oublier que c'est cette chanson qui a été choisie pour sa cérémonie funèbre , et ne retenir que cette interprétation . Jeff alors très jeune (25 ans environ) entrevoyait enfin un avenir après des années de galère. A cette époque , début 92 , il avait rejoint le groupe "Gods and Monsters" du guitariste Gary Lucas à New-York.L'expérience n'a pas duré longtemps , mais lui a permis d'affirmer ses dons de chanteur (jusqu'alors , il s'était surtout considéré comme un guitariste ) et de prendre confiance en lui sur scène.

Cela se passe à la Knitting Factory , un petit club d'East Village. Juste après avoir quitté le groupe, Jeff en solo arpentera les scènes minuscules de ce quartier , le Fez , Cornelia Cafe et surtout le Sin'e, où sera enregistré un premier EP de quatre chansons , précédant de quelques mois la sortie de Grace.

Jeff est toujours resté fidèle à ces lieux intimes où il se sent bien . En marge de sa tournée , et après celle-ci , il est souvent revenu y chanter , en habitué des lieux, seul avec sa guitare. Ses derniers concerts ont eu lieu au Barrister de Memphis , en avril et mai 1997. Il faisait découvrir ses nouvelles compositions à un public divers: alors que certains se trouvaient là par hasard, d'autres , véritables inconditionnels, avaient traversé le pays pour le voir.

Jeff était dans sa période "cheveux chatains très courts", avec un côté adolescent, encore un peu maladroit. Mais il avait déja ce magnétisme qui fait qu'on ne peut détacher le regard. Sa voix , plus juvénile que sur Grace , s'accorde magnifiquement avec ce blues qui ressemble à une prière.

Back to 1992 ...

jeudi 22 octobre 2009

Traduction de Morning Theft





C'est une des belles plus belles chansons de l'album posthume «Sketches for my Sweatheart the Drunk". Dans un registre ou il excelle, celui de la nostalgie, Jeff nous raconte l'histoire d'une amitié brisée par des malentendus. Il fait explicitement référence à sa relation avec Elisabeth Fraser, aérienne chanteuse des Cocteau Twins, dont il était très proche artistiquement et spirituellement .

Les Cocteau Twins, si vous ne connaissez pas , c'est un groupe qui a débuté dans les années 80, et qui se démarquait du courant New Wave de cette époque par sa poésie, son lyrisme, son inspiration un peu gothique. Pour moi «Treasure» est leur meilleur album. Jeff les citait souvent parmi ses groupes préférés, il avait la plus grande admiration pour Elisabeth Fraser avant de faire sa connaissance, alors qu'elle était depuis toujours fan de Tim Buckley, on peut imaginer que leur rencontre a été un moment fort ...

Ils ont composé et enregistré ensemble un duo , « Flowers in Time » que l'on trouve sur Internet :
http://www.youtube.com/watch?v=ui3JZkITEkA
La réunion de ces deux tourmentés a donné le jour à une chanson étonnamment lumineuse et optimiste , avec leurs voix qui se mêlent et se répondent en écho à leur complicité évidente .

Les paroles de « Morning Theft » sont pourtant amères , regret d'une amitié compromise par une histoire d'amour qui n'avait pas sa place . Jeff ne parlait jamais de sa vie privée , alors n'extrapolons pas , il nous a livré dans ses chansons ce qu'il y avait à connaître de lui , le reste lui appartient .

Beaucoup de ses textes sont liés à la confusion des sentiments , l'impossibilité d'aimer sans souffrir et faire souffrir , le besoin d'amour assombri par la perspective de la rupture .

Je viens de remarquer le double sens du titre , "morning" se prononçant comme "mourning" , difficile à traduire en français , mais qui se rapporte au deuil . "Mourning theft" serait quelque chose comme "vol endeuillé" , ce qui assimile la fin des sentiments à la mort , comparaison qu'on retrouve dans d'autres morceaux .


Le temps prend soin des blessures , alors je peux y croire
Tu avais tant à donner , tu pensais que je ne voyais rien
Cadeaux piétinés , promesses déçues
J'ai dû tout envoyer au loin pour que me revienne le souvenir de nous deux.


Tes yeux et ton corps scintillent comme un eau calme et profonde
Ta précieuse fille dort dans la pièce à côté.
Un baiser de chaque étranger que je rencontre pour dire «bonne nuit»
J'ai dû tout envoyer au loin pour que me revienne le souvenir de nous deux.

Un vol le matin , et ton prétendant est parti , ingrat
La vérité de ton être , c'est ce que tu m'apportais ici ,
Dans un lieu où cet amour peut être accepté
L'amitié détruite par une histoire inutile ,un échec qu'on a ignoré.

Que suis-je encore pour toi ?
Un voleur qui t'a tant pris ?
Ou une stupide reine de théatre qui avait peu de chances ?

L'amour nous mène à celui qu'il nous faut
Un lieu où peuvent subister
Nos coeurs qui battent ensemble et s'alimentent
Tu es une femme , je suis un veau
Tu es une fenêtre , je suis un couteau

Nous sommes ensemble pour tenter notre chance dans la lumière des projecteurs.

Rejoins moi demain soir
Ou quand tu voudras

Je n'ai pas le droit de me demander comment ou quand.
Et même si tout ça a un sens , ça ne m'est d'aucun secours.

Ma belle amie me manque

J'ai dû tout envoyer au loin pour que me revienne son souvenir .







jeudi 8 octobre 2009

What will you say





Jeff Buckley n'a pas eu le temps de devenir une superstar, et d'ailleurs je ne suis pas sûre que c'était vraiment ce qu'il voulait . Considéré par sa maison de disques comme "the next big thing",il n'a jamais rien fait pour accélerer le processus qui devait logiquement le mener à la gloire ,bien au contraire . Par contre, nul doute que la reconnaissance "post-mortem" de ses pairs l'aurait touché, particulièrement celle venant de musiciens qu'il admirait tels Jimmy Page ou Lenny Kaye. Parmi le concert de louanges émanant de nombreux artistes et amis tenant à lui rendre hommage , je vous propose les plus touchants et les plus sincères, comme celui de Chris Cornell, chanteur de Soundgarden et un de ses meilleurs amis , ou d'Elvis Costello, organisateur en 1995 du Festival London Southbank auquel Jeff avait participé.


"Grace was a great beginning, staking out all the stylistic territory. I think he was getting ready to make his first real record, working out what he wanted to say without letting that wonderful voice distract people from his internal emotion. I'm sure he wanted to be more than just a pretty face and voice.

Grace était un grand début, qui survolait tous les territoires stylistiques . Je pense qu'il s'apprêtait à faire son premier vrai disque, travaillant ce qu'il voulait dire sans laisser sa voix magnifique détourner les gens de ses émotions intérieures . Je suis sûr qu'il voulait être plus qu'un beau visage et une voix."

~ Lenny Kaye (guitariste de Patti Smith)

"We were really good friends, and as an individual he was different from any other friend I've had. I was looking forward to a long friendship with him. As an artist he was one of the few people that really inspired me. I was counting on him to be one of the persons who would pressure me to move my limits in many years to come.

Nous étions vraiment de bons amis, en tant que personne , il était différent que tous les amis que j'avais eu auparavant, j'espérais une longue amitié avec lui . En tant qu'artiste, c'est une des rares personnes qui m'ont réellement inspirées. Je comptais sur lui pour m'inciter à repousser mes limites dans les années à venir ."

~ Chris Cornell

"Technically, he was the best singer that had appeared probably in - I'm not being too liberal about this if I say - in two decades.

Techniquement, il était probablement le meilleur chanteur apparu depuis , je n'exagère pas, une vingtaine d'années ."

-Jimmy Page

"Jeff is one of my favorite musicians and singers of all time. Never have I seen such infinite musical potential in anyone.

Jeff est un de mes chanteurs et musiciens préférés de tous les temps. Je n'ai jamais vu un potentiel musical aussi étendu chez quelqu'un d'autre ."

~ Ben Harper



"I asked him what he wanted to sing and he said he'd like to do one of Mahler's Kindertotenlieder in the original German! Absolutely fucking fearless. He was convinced he could sing it without rehearsal, just because he liked it. In the end he did a Purcell song, 'Dido's Lament', which is in danger of sounding incredibly poignant in retrospect: "Remember me but forget my fate". But he also sang 'Boy With the Thorn In His Side' because he liked it, and 'Grace' to show something of himself.

When he started singing "Dido's Lament" at the rehearsal, there were all these classical musicians who could not believe it. Here's a guy shuffling up onstage and singing a piece of music normally thought to be the property of certain types of specifically developed voice, and he's just singing, not doing it like a party piece, but doing something with it.

Je lui ai demandé ce qu'il voulait chanter et il a dit qu'il souhaitait un des Kindertotenlieder de Mahler en allemand ! Extraordinairement audacieux ! Il était convaincu qu'il pourrait le chanter sans répeter, juste parce qu'il aimait ce morceau. Finalement il a chanté « Dido's Lament » de Purcell ,ce qui, rétrospectivement , paraît incroyablement poignant . "Souvenez-vous de moi , oubliez ma destinée" . Mais il a aussi chanté « The Boy with the The Thorn in his side » parce qu'il l'aimait, et « Grace » , pour montrer quelque chose de lui-même. Quand il a commencé à chanter « Dido's Lament » à la répétition , il y avait tous ces musiciens classiques qui ne pouvaient pas en croire leurs oreilles . Voilà un type qui débarque sur scène pour chanter un morceau supposé être fait pour des voix spécialement entraînées, et il chante , tout simplement, pas pour s'amuser, mais pour en faire vraiment quelque chose ."

~ Elvis Costello

"Jeff Buckley was a pure drop in an ocean of noise

Jeff Buckley était une goutte de pureté dans un océan de bruit."

-Bono

"Jeff was worried about signing to a major label and losing his soul. He was very traumatised by that. If you look at the signing photo that Columbia placed in Billboard magazine, it's almost amusing. Jeff looks absolutely tortured. Everybody else had big smiles. It symbolised visually what he felt. He had conflicts his whole career about commercialization. He was worried about selling a lot of records. Would that by definition make him a star? And what did stardom mean? These were all things that bothered him terribly. He had real reservations.

Jeff était troublé par le fait d'avoir signé avec une major en risquant de perdre son âme. Ca le traumatisait vraiment . Si vous regardez la photo que Columbia a publié dans le Billboard Magazine , c'est presque amusant , Jeff a l'air absolument torturé . Tous les autres ont de larges sourires. C'est un symbole visuel de ce qu'il ressentait. Pendant toute sa carrière , il a éprouvé des conflits intérieurs à propos de la commercialisation. Ca l'ennuyait de vendre beaucoup de disques . Est-ce que ça ferait forcément de lui une star ? Et être une star , ça voulait dire quoi ? Ce sont toutes ces choses qui le perturbaient terriblement. Ses réserves étaient réelles."
George Stein , manager

dimanche 4 octobre 2009

Despite the tears




Pour commémorer la sortie de Grace en 1994 , Sony a sorti en Juin dernier un coffret comprenant un DVD sur lequel figurent les chansons de l'album interprétées sur des scènes du monde entier , un CD qui en reprend le contenu en audio , et un documentaire tourné il y a plusieurs années et dont la sortie a jusque là été retardée pour des raisons mystérieuses .

Montrer Jeff dans ce qui a constitué son élément naturel pendant 2 ans , c'est à dire les concerts qui ont laissé les fans de nombreux pays éblouis par la magie de ses performances , pourquoi pas .

Même si presque tout ce qu'on y trouve circulait depuis longtemps et que les inconditionnels avaient déjà jalousement engrangé ces instants de pur bonheur, on se dit qu'il y a toujours un nouveau public à toucher .

Sauf qu'on a des doutes sur la noblesse des intentions de la maison de disques quand on sait que ce coffret arrive après pas moins de 8 albums posthumes et un DVD depuis 11 ans !

La question des éditions posthumes ne s'est bien sûr pas posée que pour lui , elle touche tous les artistes et il n'est pas facile d'avoir une opinion tranchée , entre respect d'une oeuvre et attente des fans , prise en compte des volontés supposées de l'artiste et souci de sa postérité . Dans le cas de Jeff , le plus choquant est qu'à partir d'un seul album , d'enregistrements live et de projets de chansons , on ait fabriqué une véritable industrie autour d'un homme qui se fichait de la logique commerciale et menait sa carrière dans une totale honnêteté artistique , sans jamais se compromettre et en gardant son niveau d'exigence plus qu'élevé !

Je ne veux pas dire qu'il ne fallait rien sortir et compter sur le seul
« Grace » pour que Jeff continue à vivre dans nos mémoires . "Sketches for My Sweetheart the Drunk » , sorti en 1998 , était indispensable , non seulement parce qu'il contient des choses éblouissantes , totalement différentes de l'esprit de Grace , mais aussi parce que c'est ce sur quoi il travaillait avant de disparaître. Outre les chansons enregistrées en studio qu'il avait rejetées , il y a sur ce double-album les nouveaux morceaux qu'il tentait de mettre en forme , seul chez lui devant un magnéto 4-pistes . Des chansons dont il avait dit à Michael Tighe qu'elles étaient encore « en noir et blanc » et auxquelles il était impatient de « donner des couleurs » avec l'arrivée prochaine de son groupe .

Pour ce premier album posthume et les Live qui ont suivi , les musiciens et proches de Jeff ont été consultés et le travail fut mené dans le respect d'une certaine ethique . Ca n'a pas duré : à mesure que le temps passait et que la production s'emballait les scrupules se taisaient . Le pire a été atteint en 2004 , avec la sortie de l'Edition Legacy de Grace qui fait figurer le morceau « Forget her » . Il s'agit d'une chanson qui devait être sur l'album original , mais qu'au dernier moment Jeff avait catégoriquement refusé , en un conflit ouvert avec Colombia qui voyait à juste titre un magnifique tube en puissance . Volonté de contrer la visée commerciale , motifs personnels , on n'a jamais su pourquoi Jeff avait voulu jeter cette superbe chanson aux oubliettes , mais c'était son droit, et le rajout de ce titre est plus qu'une faute de goût .

Un musicien talentueux , beau , charismatique , foudroyé en pleine jeunesse , c'était trop tentant . Les légendes sont rentables , Jeff Buckley sera donc une légende .