jeudi 3 septembre 2009

Interview Octobre 1994

Jeff Buckley
by Aidin Vaziri – Octobre 1994



...

AV : D'où viennent vos chansons ?

JB : Ce sont des rêves . Ou que j'aille , j'ai des carnets avec moi. Je suis un rêveur éveillé . Ou des choses qui m'arrivent. Eternal Life est juste une chanson... Parfois, quand on réflechit trop , on en arrive à s'inquiéter pour des choses qui devraient inquiéter tout le monde , mais dont tout le monde de moque , et le poids devient si accablant que l'on ressent de la colère d'une façon universelle. Je pense que les mères doivent ressentir la même chose après avoir eu un enfant. Le monde va tellement à l'encontre de la vie , surtout un monde dirigé par des hommes qui ne veulent pas se poser , écouter , et réflechir au sens de la vie . Ce sont des détails qui font que l'on se sent vivant , qu'on sait ce que sont l'amour ou le chagrin ...

AV : Votre thème principal est la difficulté d'aimer.

JB : C'est difficile de vivre avec quelqu'un , surtout quand c'est une personne qui est importante pour vous , et que des problèmes se posent , comme quelqu'un d'autre , même si ça n'a rien à voir avec votre amour. La sensibilité , ça n'est pas être faible , c'est être douloureusement conscient de ce qu'il ya autour de vous , comme une puce qui se poserait sur un chien avec un bruit d'explosion.

AV : Est-ce vous avez des thèmes plus généraux ?

JB : Mes chansons , c'est être vivant et produire du son . La voix apporte beaucoup plus d'information que les mots . On peut atteindre un état de transe, ou tout ce qui se passe dans le conscient est submergé ...la musique atteint ce qu'il y a en dessous...pas ce que les gens font semblant d'être , ou ce qu'ils espèrent trouver dans un magasin. Il y a beaucoup de majesté dans l'idée d'être touché par la musique , que ce soit un petit enfant effrayé ou un amoureux romantique. Les gens m'étonnent , même si je suis capable d'être parfois cynique . C'est parce que nous sommes des esprits qui s'ignorent , ce qui crée des tensions. C'est ce que la musique est capable de toucher .

AV : Et votre père ? Quelle relation aviez vous avec lui ?

JB : Musicalement ? aucune , à une époque j'ai eu des disques de lui , mais plus maintenant . J'ai une façon de comprendre les choses d'une manière très intime... Je ne pouvais pas faire autrement . Quand j'avais à peu près 19 ou 20 ans , je n'avais pas besoin de savoir , mais après , ça a commencé a m'obséder. Et il fallait que j'essaie de comprendre . Mais en réalité , je ne suis pas prêt à en parler maintenant . Dès ma naissance , je suis né à la musique , j'en suis tombé amoureux , elle était ma mère , mon père , un camarade de jeux quand j'étais très jeune , quand je n'avais rien. Ca ne vient pas de lui . Je l'ai rencontré une seule fois , et il est mort 2 mois après . Mais entre temps , il ne m'a pas écrit , ni téléphoné , et je n'ai pas été invité à son enterrement . Il n'y a pas eu de lien entre nous , vraiment . Je suis sûre que les gens rempliront les blancs et fabriqueront le mythe qu'ils voudront. Je regrette de ne pas lui avoir parlé plus , juste une ou deux fois . Robert Plant et Jimmy Page ont eu beaucoup plus d'influence que lui.

AV : Ce sont les noms qui viennent quand les gens parlent de votre musique.

JB : C'est la première voix dont je suis tombé amoureux . Quand Robert Plant était jeune , sa voix sonnait comme celle de Janis Joplin. Lui aurait préféré Howlin' Wolf , mais non . Il sonnait comme un putain d'animal .

AV : Ecrire des chansons , ça signifie quoi pour vous ?

JB : Ma musique c'est l'expression rêveuse du psyché. En partie sables mouvants , en partie structure . Les sables mouvants , c'est important pour que les choses évoluent. Est-ce que vous avez des souvenirs où vous vous rappelez un goût ou une sensation , d'un objet peut-être , mais ce sentiment est si bizarre et imperceptible que vous ne pouvez pas mettre le doigt dessus ? Ca vous rend fou . C'est mon esthétique musicale , juste cet imperceptible souvenir flottant. Ce qui est fantastique maintenant est que je peux l'enregistrer sur un disque ou le jouer sur scène . C'est entièrement irréel . Comme s'il y avait un garde à l'entrée de la mémoire , et nous ne sommes pas supposés nous rappeler certaines choses , car il faut se soumettre à leur pouvoir pour les vivre. Ce qui peut nous détruire ou nous marquer à vie . On n'en sait rien , c'est comme mourir . La musique , c'est tout ce que j'ai . C'est la seule chose qui ait toujours été vraiment formidable avec moi . A un moment , j'étais extrêmement déprimé et je ne pouvais pas m'intéresser à quoi que ce soit d'autre.

AV : C'était au lycée ?

JB : Le lycée , c'était n'importe quoi .Dès que j'y suis entré , je savais que ça ne servait
à rien . Pas l'enseignement , mais les gens .

AV : Vous avez grandi à Riverside , en Californie , c'était comment ?

JB : De la naissance à la tombe , c'est un pays criminel . Je me demande comment j'ai fait pour y trouver quelques amis . Les gens grandissent dans la répression de leur âme , jour après jour . La télé cablée , c'est de la merde . C'est de la misogynie , c'est la naissance , le travail , la mort , c'est la misère , le pouvoir , ce sont des ploucs . Et c'est avec tout ça que j'ai grandi . J'étais un nomade sans racines . Maintenant je préfère le Lower East Side à n'importe quel endroit sur terre , je peux y être moi-même . Je ne pourrais plus habiter aucun des endroits de mon enfance . Je n'ai jamais été à ma place en Californie, même si j'y suis né.



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